lundi 30 novembre 2009

Mokrane Kab de la Guyane Française


Toutes mes salutations à un grand ami et à un ami d’enfance.

Tu le sais bien que je garde, même s’ils ne sont pas matériels, mais dans ma mémoire, nos souvenirs d’enfance.

Aujourd’hui, malgré ton éloignement et mon éloignement (à des milliers de km de nos familles et de notre cher village) l’Internet nous réuni et j’en profite l’occasion pour immortaliser ces retrouvailles par une petite Interview à insérer dans le blog.

1. Et d’un seul clic, nous voilà retrouvés malgré des milliers de km. L’un de l’autre, d’une frontière à une autre et d’ici à notre village d’enfance :

Mokrane, un ami d’enfance parti depuis les années 70 en France, raconte-moi?

Mokrane : Je suis en France depuis maintenant trente et un ans, et je vis en Guyane depuis presque quatre ans; j'ai une femme, Béatrice, et deux enfants, deux filles que j'adore : Lehna et Tanina. Tout cela me paraît tellement loin et si proche à la fois!

2. L’exil, la nostalgie…

Mokrane : L'exil n'est pas facile pour un enfant de 10 ans: quitter ses parents, sa famille, ses amis, son village, en fait, tout ce qui fait de vous ce que vous êtes et tout laisser derrière soi, c'est une déchirure, un vrai drame! Mais c'est le prix à payer pour une vie meilleure, un avenir professionnel.

La nostalgie m'accompagne partout, et dès que je crois reconnaître quelque chose qui me fait penser à notre Kabylie, je frémis! Il m'arrive parfois de me retrouver seul, à écouter Matoub ou un de nos grands chanteurs, et là, je ne peux retenir mes larmes; les souvenirs sont plus forts et je suis transporté au village, ma maison, mes parents, di lekhmis...

3. Je me souviens de cette journée de 3e année où tu préparais tes valises pour un aller sans retour…

Mokrane : Moi aussi je me souviens, je n'ai pas bien compris ce que faisait mon père dans la classe, il est venu me chercher, mon frère Mouloud était avec lui; puis, nous sommes rentré à la maison, ma mère pleurait, mes grands-parents aussi. Et moi, évidemment, je cherchais une réponse dans les yeux de ma mère; sa seule réponse fut de me serrer dans ses bras, si fort que je ressens encore aujourd'hui son étreinte! Puis, nous avons emprunté le long chemin vers Ath Douala, parce que, à ce temps-là, il n'y avait pas autant de transports, et peu de gens possédaient une voiture. Puis, j'ai pleuré sur la route, dans le taxi, dans l'avion... Et nous sommes arrivés à Paris chez Zzi Slimane Khaldi, un ami de mon père, un homme formidable, un de ces hommes du village que tu n'oublies pas! Enfin, le lendemain, Landrecies, un petit village au fin fond du Nord, chez les parents de ma mère. Alors, c'est là que ma deuxième vie a commencé, l'école, les copains puis le collège, le lycée; ensuite je suis allé sur Lille à l'université et le travail dans quelques départements français jusqu'à aujourd'hui en Amazonie ! Un long chemin, certes, mais jamais loin des miens, de ma culture et de mes origines dont je suis fier. Parfois mes amis ch'ti et les autres se moquaient un peu de mon chauvinisme, de mon attachement à la Kabylie, qui leur paraissait loin; ils me disaient que je ne connaissais que la France depuis mon enfance, ils avaient peut-être raison, mais, tu vois mon ami, je reste toujours ancré à mes racines, à ma famille et mes souvenirs Kabyles!

4. De loin, raconte-moi ton village : Ait-Bouyahia?

Mokrane : Je vivais à travers mes souvenirs Amallou tlougith, lekhmis...,on était de bons amis, Hosni Hamid, toi, Kamal Kab, Nacer, Mohdidir Hedbi qui nous chantait des chansons de Menguellet, Le chameau, Kab Ali, tigzirt, Les Hosni, mes frères, et bien d'autres!!!!

5. Un souvenir, des souvenirs du village… un endroit magique pour toi…

Mokrane : C'est difficile de parler d'un souvenir, je t'en donne déjà quelques-uns dans tes autres questions, il y en a eu tellement! Mais l'endroit magique reste pour moi l'olivier en face de la maison de mes parents, dans le champ. Il est là, toujours là. Je ne cessais de grimper dessus, on jouait souvent sur cet arbre, on s'imaginait des tas de choses, des voyages, des histoires; cet arbre est un arbre magique! La première fois où j'ai emmené ma femme et mes enfants, ma fille a eu un geste qui m'a fait plaisir, elle est montée spontanément sur l'olivier et elle m'a dit: « il m'a appelé, alors j'y suis allée!», drôle de coïncidence.

6. Tes meilleurs moments au village…

Mokrane : Quand nous étions enfants, on jouait à thiqar, une sorte de joutes, de sport de combat avec les pieds, tu te souviens ? C'était violent, mais il y avait des règles, un esprit sportif, il y avait aussi les matchs de foot avec des ballons fabriqués en pochettes plastiques et en fil... Asif, les baignades et les pique-niques.

7. Aujourd’hui c’est l’Aïd au village, c’est la fête des enfants… ton enfance au village, raconte-nous?

Mokrane : La première fois que j'ai vu une télé, c'est quand mon père nous a emmenés à Ath Douala dans un café pour la fête de l'aïd. Mon grand-père m'avait offert un tracteur en plastique vert pour l'aïd et il a tenu deux jours quand même! Quand on soufflait dans la peau pour gonfler le mouton, c'était une autre époque. On ne vivait de pas grand-chose, mais on était heureux; maintenant, je pense bien aux gens, parce que ce n'est plus une vie, les prix des denrées et du mouton sont scandaleusement chers et de nouveau, il faut se ruiner pour avoir de quoi faire la fête. Je me souviens que nous nous contentions de peu, mais les choses n'étaient pas aussi difficiles, mais cela reste un point de vue de gosse, les adultes de cette époque-là ne diraient peut-être pas cela.

8. Des images du village des années 70 et celles d’aujourd’hui, quelle comparaison?

Mokrane : La modernité est entrée aussi au village, les constructions se sont multipliées, les enfants aussi, les voitures et les transports en veux-tu en voilà... Que dire, ce n'est plus ce village, loin de tout, reculé et isolé que nous avons connu; il n'y a que ceux qui y vivent encore qui peuvent nous dire comment ils le ressentent, moi, les souvenirs d'avant occultent mon objectivité parce que ne dit-on pas sans cesse: « c'était mieux avant! » Alors pour éviter de passer pour un vieux rabat-joie, je dirais simplement que ma vision du village d'Ath Bouyahia est différente aujourd'hui, que notre village n'est plus celui de notre enfance, mais il y a quelques trucs qui eux ne changent pas: les lieux éternels demeurent, les mêmes endroits sont fréquentés par les jeunes et les moins jeunes.

9. Un personnage ou des personnages du village t’ayant marqué?

Mokrane : Hmed nyemass, non je déconne, en plus on m'a dit qu'il s'est marié et divorcé; Aagoun qui nous taxait tout le temps, mon père, ce héros... mon grand-père, ta grand-mère et la mienne par la même occasion, Jida dehbia, il y avait celui qui se promenait avec sa hache sur l'épaule et qui nous faisait peur, je ne me souviens plus de son nom, et tant d'autres... À la prochaine interview, je te donnerai d'autres noms et d'autres souvenirs, bien sûr s'il y en a une autre, d'interview (rires!!!)

10. Akkal Aberkane, Thalla Iguefrene, ldjamaa Bwada… que te rappellent-ils?

Mokrane : Je ne cesse de penser à Jedi Abdellah, à nos ancêtres, je les appelle très souvent pour qu'ils protègent ma famille et mes amis.

Les parents, bouchez-vous les oreilles!!!- c'est bon? Thalla Iguefrene, c'était les discussions chaudes interminables, l'eau fraîche, les filles... (Rires!!!)

11. Thimechret, zerdath, les fêtes au village, etc.

Mokrane : Il n'y a pas de meilleurs mariages que les mariages kabyles; je peux te dire que j'ai assisté à de nombreuses fêtes de noces un peu partout, mais les fêtes chez nous, c'est incomparable! C'est une fête dès les préparatifs et chacun a son rôle. Comme dirait Mohand Fellag: les berbères, la journée ils font la guerre, et la nuit ils font la fête!

Non, vraiment, trêve de plaisanterie, c'est l'esprit de solidarité, comme thimechret, qui m'a accompagné toute ma vie. Je pense être né au bon endroit, à la bonne époque; je ne sais pas maintenant, il faudrait demander à nos jeunes, mais je sais que j'ai été éduqué dans le bon sens, je m'explique: si tu avais le malheur de faire une bêtise dans le village, tu tombais toujours sur un adulte qui te remettait sur le bon chemin, avec une bonne paire de baffes ou pas, et si tu avais le malheur de le dire chez toi, tu reprenais le double! L'éducation était l'affaire de tous et de chacun, le respect était de mise et je ne me souviens pas d'une bagarre entre adultes; des disputes oui, c'était souvent, mais de la violence, jamais! L'assemblée de village, thajemath, était puissante et les anciens respectés. Je sais ce que je dois à nos traditions, le respect de l'autre, l'ouverture, mais aussi la combativité, le nif, alors cela te permet de grandir sereinement et de devenir un adulte responsable, enfin je l'espère (rires!!).

12. La meilleure saison au village…

Mokrane : Sans l'ombre d'un doute la fin de l'été, lekhriff et le moment de la cueillette des olives. Mais les hivers, dans la neige et le froid, à descendre les pentes avec les tôles publicitaires en fer, tu te souviens, dangereux, mais tellement excitant!!

13. La famille et les amis au village, quel contact?

Mokrane : J'appelle ma famille dès que je peux, je rentre aussi très souvent maintenant, et je suis en contact avec des amis du village par téléphone, internet, sur facebook, n'est-ce pas Kamel...

14. Ton avis sur le blog…

Mokrane : Mon ami, sache que ce que tu fais est une œuvre de bienfaisance pour Ath Bouyahia, une pierre de plus pour les immigrés volontaires ou non que nous sommes pour ne jamais oublier notre village et nos traditions. Je te dis merci de me replonger dans mes racines, dans mon village et mes origines! Tannemirth tamoqrant agma!!!

Je te remercie mon ami de m'avoir permis de m'exprimer sur notre enfance, sur nos ancêtres et notre village; qu'ils vivent éternellement! Embrasse tes charmants garçons et bonjour à ta femme!!!

Mes remerciements

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