samedi 13 juin 2015

Comment faire pour recréer par les mots la magie d’un lieu

Rachid Kechad 

Comment faire pour recréer par les mots la magie d’un lieu, que j’ai vu une seule fois. C’est la question au quelle je me suis confronté au moment où je m’apprêtais à écrire ce modeste papier. Sans beaucoup de peine en fait, finalement, un souvenir, c'est comme de l'huile dans l'eau, il finit toujours par remonter à la surface.
C’est avec un sentiment de bien être et de détente que je tenterai de remonter dans le temps et de plonger dans le lointain souvenir de ma plus tendre enfance pour le représenter de la manière la plus précise possible. 
A ma sortie des classes de « l’école lakhmiss »à 15h 30 « saisissant cette occasion pour rendre un vibrant hommage à tous mes enseignants du primaire, à commencer par, chikh El Mouloud Immoune, chikh Moh Idir Hamdad, Chikh Ammar Hedir, chikh Ahmed Koulal » et à peine le portail de l’école s’ouvrit, j’avais rejoint la cour pour me précipiter vers l’extérieur. Une fois mes pieds étaient dehors, j’eus commencé à guetter la présence de ma grand’mère paternelle dans les environs immédiat. Comme convenu la veille, cette dernière était la, à m’attendre, panier à provision plein à la main, adossée à un olivier près de l’épicerie « Tahar El Hocine, pour l’accompagner à Amsiwen (Ait Bouyahia), en vue de rendre visite et s’enquérir de la situation de sa belle fille (Fille née d'un lit antérieur) Quelle complicité entre les deux femmes !! Bravo. 
Pour s’y rendre, on devait emprunter le sentier « B’anza », étroit et sinueux. Un lieu qui faisait peur aux enfants de part les contes effrayantes racontées par les adultes. A cette date, point de route carrossable. Une marche à pied de moins de 20 minutes suffisait largement pour atteindre les premières habitations. Peu avant les premières maisons, de loin, un lieu m’apparait dominé par la présence des femmes, rassemblées par petits groupes, certaines, accroupies sur le sol terreux tandis que les autres, se tenaient en position debout, donnant ainsi l’image, d’une « Tajmat » pour les femmes où, ces dernières, jeunes et plus âgées discutaient gaiement de tout et de rien. Un décor du déjà vu sur la route de Tala Guefrane. Sans aucun doute, il s’agissait d’une fontaine. Renseignement pris auprès de ma grand’mère, elle s’appelle « Tala T’sukrine » me murmura-t- elle. Étonnant, de tous les paysages qui nous sont chers, seule la fontaine, (Tala) a cette indélébile emprise sur notre mémoire. Cela va de soi, nos aïeux, avaient en tout temps, Prêté une attention toute particulière pour dénommer la beauté de ces paysages par des qualificatifs sublimes. ch’vaha bawal itaked s’ guemi b’amdhaen azedguen. 
Bâtie selon les informations recueillies, par les colons la première fois ,en 1895 et réaménagée une seconde fois en 1952 par deux maçons pétris de talent, en l’occurrence, Ahmed Ath Ali Iratni et Moh Said Akouchen Kaci. 
Cette fontaine symbolisait à cette époque le cœur du village et outrepasse sa mission de pourvoyeuse en eau pour devenir aussi, un espace de rencontre où les femmes pouvaient révéler et échanger mutuellement les dernières nouvelles (Réseau social) et surtout, un endroit où les vieilles femmes retransmettaient volontiers, le savoir oral aux plus jeunes. Lakul Na Dounith. 
A peine nous étions parvenus aux abords de cette féerique fontaine, un homme avec une canne, pointa à l’heure pour procéder à l’ouverture des robinets de Tala T’sukrine. Il s’agissait de Moh Amokrane L’amara Halit. 
Dans la file qui s’était formée, chacune attendait dans le calme son tour, pour remplir sa jarre. Chaque famille de quatre personnes avait droit à 20 litres d’eau, c’était la règle. Moh Amokrane L’amara Halit en maitre de tala, ne badinait jamais avec le règlement et l’ordre. Il était un homme entièrement dévoué à son travail.
Une fontaine aux multiples missions, avant le coucher du soleil, le garant de la fontaine devait fermer les robinets, pour laisser place aux bœufs s’abreuver (leur lieu de prédilection) et, permettre aux réservoirs de se remplir. En période d’été, où l’eau des ravins commença à manquer, Tala T’sukrine devint un lavoir public à ciel ouvert pour le linge malpropre.
En bas de la fontaine, des trous ont été creusés dans le sol (Ihdhonane) pour le foulage de la pâte d’olive, obtenue après écrasement, à l’aide d’une grande pierre cylindrique, appelée (Avaray). (en Période de cueillette d’olives) 
Tardivement, nous avions pris la route à la hâte pour arriver à la maison avant l'appel à la prière d'El Maghreb. Arrivés juste en dessus de la fontaine, sans hésitation, j’avais presque « exigé » de ma grand’mère de marquer une petite halte, juste le temps de voir de près cette source. Sa sollicitation fut admirablement accueillie par toutes les personnes présentes. Eh bien, du coup, J’y plongeai mes petites mains sous un robinet à peine ouvert, pour y savourer lentement, à petites gorgées et profiter pleinement du gout de ce précieux liquide. Deux objectifs firent atteints en même temps, d’abord ma curiosité fût assouvie et ma soif totalement étanchée, c’est avoir deux oiseaux par une seule pierre, comme disait le proverbe. Ce souvenir reste gravé dans ma mémoire et, ravi d’y retourner un jour. Surement, une autre opportunité viendrait. 
Avant de clôturer, j’implore dieu, le Tout Puissant d’accorder aux défunts sa Grâce et sa Miséricorde, tout en souhaitant aux autres, longues vies pleine de santé et de bonheur. 
Une fontaine (Tala T'sukrine) à quatre missions, autrement dit : quatre en un. Merci.


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