jeudi 8 octobre 2015

Aït-Bouyahia : Couleurs, saveurs et décors

Mouloud Halit

Aït-Bouyahia : Couleurs, saveurs et décors

Thème n° 11 : Tala-Tliwa


En fait d’atout percutant, notre village jouit d’un site proliférant en sources d’eau. De par ce cas rare des plus louables, nos ancêtres avaient donc dénommé ce site : Tiliwa, au sens évident : Les Sources. D’un relief en pente douce, ce site garda longtemps durant son aspect de campagne florissante. Les arbres fruitiers, dont les figuiers à profusion, prospéraient à souhait, tant l’eau à gogo ne vient guère à manquer. En hiver, il va sans dire, les points d’eau émergent en surface, desquels serpentent de petites rigoles drainant l’écoulement de leurs petits affluents. Aussi ce site qui s’avère exceptionnel de par son emplacement stratégique.
Par son coté gauche, il a comme sainte « voisine » la célèbre zaouïa d’Akal-Aberkane. A sa droite, le commencement urbain de Larva n’Ath-Douala. Ou le chef-lieu de commune qu’est Béni-Douala-Centre. Par en bas, notre village d’Aït-Bouyahia, avec sa route carrossable montante. En ce site existe alors le croisement en fourche des trois routes, rejoignant ces destinations mentionnées. Par-delà ces destinations, ces routes qui continuent en direction des villages avoisinants, tout en se prolongeant plus loin encore…
Peu avant le croisement, sur la route de notre village, soulignons non sans joie l’existence d’une petite fontaine, au nom dialectal : Tala. C’est une fontaine publique située à égale distance ou presque de la zaouïa et du croisement. Ces deux derniers s’y trouvant respectivement à gauche et à droite, à des niveaux légèrement élevés. De source officieuse, cette fontaine était d’abord un bien privé appartenant au nommé : Ali-w-Slimane. Non pas à l’état de fontaine mais à l’aspect d’un petit étang, dit : « amdhoun » n’Ali-w-Slimane. Mais ce propriétaire ne tarda pas à faire don de ce petit étang au profit du village. Ainsi devenu un bien public, le petit étang fut transformé en petite fontaine. D’où « amdhoun » n’Ali-w-Slimane qui changea de nom pour devenir : Tala-Tliwa. Ou le nom du site qui s’attèle au nom dialectal de la fontaine.
De par son aperçu et son emplacement, Tala-Tliwa est située en plein virage de la route carrossable. Avec un aspect tout particulier en étant quasiment encastrée : n’était apparent que sa façade avant, petite et bâtie tout en pierres. A sa gauche, une rigole provenant d’un peu plus haut poursuit sa descente jusqu’au ruisseau. Et cette rigole passant sous la route via un petit avaloir et un petit aqueduc. Un abreuvoir des moins encombrants pour les animaux est aménagé au bas de la façade. A son dessus, au milieu et à un niveau raisonnablement rehaussé, un bout de tube métallique, rond et creux, sortait de la façade, d’où coule la source d’eau susurrante. Ce continuel débit se déverse sur l’abreuvoir, le remplissant à ras bord, avant de déborder en affluent vers la rigole de drainage.
A la comparer aux fontaines du village au mieux aménagées, Tala-Tliwa en est la plus simple en conception. C'est-à-dire : sans auvent, sans plancher, sans robinets, pas même un espace de libre pour faire la chaine, si besoin est. Etant en bordure de route, elle est bien là en tant que fontaine de fortune sinon de secours, pour les usagers que sont les passants et les passagers. Y compris leurs bêtes de somme ou leurs troupeaux d’animaux. Contrairement aux autres fontaines, il est rare de voir venir à cette petite fontaine les ménagères pour puiser l’eau. Avec leurs amphores à remplir et à transporter sur leurs dos. Occasionnellement en été, cela peut arriver, quand l’eau arrive à manquer.
Après cette entrée en matière sommaire, passons maintenant aux éclatements de détails. Dont nous verrons l’indispensable disponibilité de notre petite fontaine, qui mieux est, dans la bonne ambiance et la bonne animation.
Depuis les temps les plus reculés, la route du village ne cesse d’être animée par les marches à pied de ses usagers. A l’aller comme au retour, Tala-Tliwa qui représente le point focal de prédilection, tant pour épancher la soif, se laver et se rafraichir. Maintes franges y affluent, en l’occurrence les scolarisés, les paysans, les travailleurs, les fidèles, et d’autres encore. Y venant de tous les villages dont ces plus fréquents que sont : Aït-Khalfoun, Aït-l’Hadj, Timaguenounine, y compris notre village. En sorte un passage obligé en raison du chef-lieu de commune qu’ils se devaient de rejoindre pour leurs affaires administratives, scolaires, et autres prestations. Pour peu qu’ils arrivent à destination, Tala-Tliwa s’y prête au mieux pour une pause relaxante avant de poursuivre leur chemin. Telle une pointeuse, ils marquent donc leur présence par nécessité vitale. Après quoi, ils repartent avec un fort sentiment de soulagement. Ainsi Tala-Tliwa qui en est sans cesse convoitée, selon une ambiance et des animations à peindre absolument. Et que l’histoire de notre village aura sans doute à retenir en tout honneur, pourquoi pas !?
A longueur de journées, Tala-Tliwa fait figure de « perle » éblouissante, grâce aux fulgurantes scènes dont elle est sujette, de par lesquelles elle jouit tout en même temps. Tour à tour, ces scènes rustiques de Kabylie défilent et se succèdent comme dans un film. Tantôt, c’est le passage d’un berger avec son troupeau d’animaux. Dont en commensaux fidèles, l’abreuvoir et la source en sont pris d’assaut. Après eux, une autre scène (ou facette) pareillement rustique ne peut que suivre sans délai presque. Peut-être bien l’arrivée d’un vieux monté sur le bât de son baudet. Le vieux buvant de la source, et la bête, de l’abreuvoir, le museau à fleur d’eau. Comme autre scène, probablement une brave dame accompagnée de sa progéniture. A tour de rôle, ils se désaltèrent non sans joie et satisfaction en se servant de leurs mains jointes, placées sous le torrent. A ces cas d’exemples de faible ampleur – qu’on ne peut tous de les citer, s’y ajoutent les mouvements de grande ampleur. Dont ces exemples parmi tant d’autres.
Les enfants scolarisés en sont les figurants de première catégorie. En y sortant de l’institut ou du collège, ils prennent d’assaut leur petite fontaine. En effectif fort nombreux. Telle une horde incontrôlable, ils se donnent à cœur joie à toutes sortes de ruades, de bousculades et de furie. Ainsi rivalisant à qui boirait le premier, pour être digne de champion. Ou leur vivacité et leur habileté ainsi mises à rudes épreuves. En s’y faisant quelques minutes durant, ils bourdonnent en s’agitant, pareil qu’un essaim d’abeilles autour de la ruche. Et ce brouhaha des écoliers que l’on ne trouve guère en les fontaines du village, si ce n’est en celle-ci. Tant étant la seule existant sur leur chemin. Et à cette exclusivité s’y ajoute cette autre, avec un engouement non moins attrayant. Ou l’heureuse opportunité émanant de la zaouïa d’Akal-Aberkane.
En cette zaouïa où repose notre Jeddi Abdellah-w-H’ssane, les fêtes religieuses sont célébrées avec une ponctualité sans faille et une régularité d’horloge. Les pèlerins et les fidèles affluent de partout et en masse. La zaouïa s’anime alors selon une ambiance et une animation religieuses et spirituelles. Et Tala-Tliwa qui leur est toute proche, voire disponible pour un bon profit. Grâce à la zaouïa, la petite fontaine s’anime, tout en offrant son eau fraiche et potable aux pèlerins. Les enfants, les femmes et les hommes y descendent de la zaouïa vers cette fontaine qui n’est qu’à quelques pas de marche. Dans la bonne ambiance, ces pèlerins y viennent pour se gorger et s’approvisionner en eau. Les bouteilles et les gourdes se remplissent à tour de rôle. Selon des précautions méticuleuses tant toutes et tous élégamment vêtus, prennent bien soin de leurs tenues vestimentaires. Plus spécialement les demoiselles, resplendissantes dans leurs plus beaux atours et leurs plus belles parures. De par ces perpétuels décors envoutants, Tala-Tliwa devient implicitement une splendeur éblouissante. Et cela qui n’est pas tout tant la mosquée à laquelle nous arrivons y joue un autre rôle pareillement prépondérant.
En contrebas de la zaouïa, existe la mosquée du village qui n’est séparée de la zaouïa que par la route communale, prise en sandwich. Ce lieu de culte - pour un islam éclairé, reçoit au quotidien les fidèles aux horaires des cinq prières. Mais pour la prière collective du vendredi ( Salat L’djoumaâ ) le mouvement et l’animation en sont plus importants, comparativement. Pour cette prière obligatoire, les fidèles affluent massivement du village et de Béni Douala-Centre, vers la mosquée. Parmi eux, ceux qui font leur crochet par Tala-Tliwa. D’où alors chacun comme il en profite à bon escient. Avec une sagesse et une piété spirituelle.
Décidemment, cette petite fontaine a vraiment sa raison d’être. Que dire alors en incluant encore le souk de Larva lequel en aucun cas ne doit être oublié !?
Souk Larva, comme dit-on, est le marché communal hebdomadaire. Chaque mercredi, il reçoit son monde de commerçants et de clients en y venant de tous les villages. Soit dit de toutes les directions, c'est-à-dire : Est, Ouest, Nord et Sud. Parmi eux, ceux qui empruntent la route carrossable y passant implicitement par Tala-Tliwa. Qui donc de cette dernière frange en arrivant là, pourra s’en passer de pointer à cette fontaine !? Comme fait l’aimant pour le fer, celle-ci les attire puissamment, ne serait-ce pour le plaisir de se rafraichir le visage après la marche fatigante et harassante. Cela, dès le point du jour quand l’aurore commence à poindre à l’horizon, jusque tard dans l’après-midi, quand le marché ferme son portail. C'est-à-dire : au retour des clients retardataires. Autrement dit, une fois les emplettes accomplies, ces mêmes gens repassent à nouveau par Tala-Tliwa. Soit dit, un passage au mieux rassurant et réconfortant, avant d’entreprendre le chemin du retour.
Enfin - comme dernière parenthèse encore heureuse, spécifions l’ouverture exceptionnel du marché, durant les fêtes de l’aïd. Et ce, en raison de l’heureuse coutume qu’est Tassawiqt, faisant le bonheur et la joie des enfants. Autrement dit, celle-ci qui s’effectue au marché.
Aux jours de l’aïd, tous les enfants s’en vont quasiment au marché pour acheter des jouets. Accompagnés d’un parent ou d’un proche, et tous qui brillent comme des lustres avec leurs habits neufs et leur toilette bien soignée. Et la petite fontaine qui leur est pareillement disponible, au même titre que le marché.
Voilà tout sinon presque concernant les précieux services de Tala-Tliwa!
Offrant toujours et gratuitement son eau fraiche et potable pour qui en veut. Continuellement 24 heures sur 24, 07 jours sur 07, des années durant. Que dire alors de cette fontaine toute petite sinon qu’elle a tout d’une grande !? Avec sa panoplie de bilans honorifiques, marquant son épopée en « or ». Ou toutes ces nécessités vitales dévoilées au grand jour, et toutes, dignes de preuves à l’appui !
Pour l’heure, qu’en est-il de cette légendaire Tala-Tliwa !? Comme réponse, hélas, rien ne va plus !
Les éclats d’antan faisant, sa valeur, sa splendeur et son prestige ne sont plus que d’heureux souvenirs. Voire des souvenirs poignants. Et pour cause, cette fatalité qu’on pourrait dénommer « Ceci tuera cela » l’affecta de plein fouet. Et à vouloir élucider une telle fatalité, alors pointons du doigt (pour ne pas dire accusons) fort étonnamment l’évolution et le progrès. Eh ben oui, depuis l’avènement des transports en commun des voyageurs, assurant les dessertes à l’échelle locale, Tala-Tliwa fut complètement chamboulée au sens désastreux du terme. Et pour cause, y subissant la dégradation, la décadence et la décrépitude, à une cadence alarmante. Autrement dit, ces dessertes reliant les villages au chef-lieu de commune, donc apportées par le progrès, ont transformé les piétons et les piétonnes en voyageurs et voyageuses, respectivement. A juste titre, des fourgons au mieux capitonnés et aménagés de sièges en sont mis à leur disposition. Pour parfaire l’aisance et le confort, les navettes s’accomplissent en musique, parcours durant. Qui plus est, cet avantage de taille qu’est le gain notoire en temps. Qui mieux est, au prix peu couteux du ticket de transport.
Assurément, ce progrès technologique engendra le bien-être total aux voyageurs. Mais pour Tala-Tliwa, c’est tout le mal-être, et quel dommage !
Au jour le jour, à l’aller comme au retour, cette petite fontaine voit passer ses ex usagers sans y mettre le pied. Tous passaient à la vitesse des fourgons qui les transportent. En coup de vent. En y passant, c’est à peine lançait-on en sa direction de ces regards furtifs. De ces regards pitoyables sinon nostalgiques.
A la suite de cet abandon tant aggravé par l’indifférence, Tala-Tliwa tente néanmoins de persister avec le peu d’usagers qui lui sont restés. Notamment ces vieillards tenant toujours à leur mode de transport, en l’occurrence, leurs baudets. Ces vieillards continuent donc à s’y arrêter et à marquer leur pause. Comme s’ils eussent été au mieux vaccinés contre tout progrès. Au demeurant, ce cas d’exception et quelques cas rares s’y ajoutant n’empêchent pas Tala-Tliwa de péricliter.
A défaut d’entretien, la ravine, la mousse et les herbes sauvages s’en prennent à elle de toutes parts. La mangeant et la ravageant sauvagement, tant le terrain s’y prête pour bien mordre et bien s’agripper. D’où avec le temps, ce décevant constat qu’est le débit de la source s’amenuisant, manifestement. Sous l’effet d’une graduelle obstruction, fort probablement. Implicitement, son eau qui est de pire en pire redoutée pour être bue. Actuellement, pourrait-on dire, l’usage de Tala-Tliwa changea complètement. L’eau qui était potable n’est valable que pour le lavage. Pour si peu de débit qui existe encore, on en profite alors. Comme on le voit parfois, voire souvent.
Moyennant un réducteur d’embout de fortune dont une bouteille en plastique que l’on découpe, on le place en intermédiaire sur le débit de la source et le tuyau d’eau en caoutchouc que l’on raccorde au goulot de la bouteille. Ceci fait, le lavage s’accomplit à souhait et à distance voulue. Ainsi durant en attendant ce qu’il adviendrait à l’avenir…
Tels sont donc l’état d’avant et l’état actuel de Tala-Tliwa. Ou l’état réjouissant auparavant et l’état dégradant pour l’heure de notre petite fontaine. Et Dieu sait ce qu’il adviendrait d’elle à l’avenir !? Sur ce, espérons vivement que viendra l’heureux jour où on la verra faire peau neuve, avant de reprendre ses précieux services, comme au bon vieux temps. D’une manière ou d’une autre, pourquoi pas !?
TANMIRT U NA-DJAKOUN DHI-LAHNA !
TRES PROCHAINEMENT, INCH’ALLAH : Notre thème (ou article) n° 12 au titre : SOUK-LARVA. Ou le marché hebdomadaire ouvert chaque mercredi à Béni Douala-Centre. ATTENDEZ-NOUS !

Aucun commentaire: